Édito
27 juin 2017. L’année scolaire est terminée, une petite foule se presse dans les couloirs du campus de Bobigny de l’Université Paris13. Le site, ancienne imprimerie de L’Illustration, revue mythique du début du 20e siècle, est un joyau industriel. Les ouvriers l’ont déserté depuis longtemps, mais on se prend à penser à eux lors de cette journée organisée par le comité départemental d’éducation pour la santé en Seine-Saint-Denis (Codes 93). Le thème ? « Éducation nutritionnelle, promotion de l’activité physique et précarité ».
Les participant(e)s débattent de la pertinence et des moyens d’agir auprès, et avec, les personnes en situation de précarité. Par-là, il faut entendre ceux qui n’ont pas ou peu de revenus réguliers, mais aussi ceux qui sont dans une situation sociale, psychologique instable au quotidien, mais également des personnes qui peuvent avoir plus de difficultés à trouver, comprendre, traiter et utiliser les informations de santé.
Expliquer
85 % des Français connaissent la recommandation du Programme National Nutrition Santé (PNNS) sur le fait de manger « au moins 5 fruits et légumes par jour ». Pourtant, elle n’est suivie que par la moitié de la population générale, et nettement moins dans les quartiers défavorisés. Cette inégalité dans l’application de messages connus s’explique. Pour le Pr. Serge Hercberg, président du PNNS :
« Il ne suffit pas d’expliquer, il faut aussi des politiques publiques qui rendent l’environnement favorable à la pratique d’une activité physique et au changement d’habitudes alimentaires. »
— Pr. Serge Hercberg, président du PNNS
En effet, s’il est difficile de trouver des fruits et légumes à prix abordable dans un quartier, si celui-ci n’a pas de trottoirs assez larges pour marcher, comment les gens peuvent-ils se mettre à bouger et bien manger ?
Autre constat, dressé par Aurélie Maurice, maître de conférences au Laboratoire éducations et pratiques de santé (LEPS) de l’Université Paris 13 :
« Les choix en matière d’alimentation ne sont pas uniquement guidés par les ressources financières. Il faut aussi avoir conscience que le rapport au corps et à la santé, de même que la fonction et l’organisation des repas peuvent différer, notamment selon le milieu social et l’origine culturelle. Par exemple, chez certaines personnes précaires, on cherche avant tout à faire plaisir à ses enfants, en leur donnant à manger ce dont ils ont envie, quand ils en ont envie. »
Pour obtenir des résultats en promotion de la santé, il faut donc s’intéresser aux facteurs environnementaux et à la manière différenciée dont chacun reçoit les messages. Certaines personnes peuvent en effet ne pas être en capacité de les appliquer ou se sentir stigmatisées. C’est le cas de cette mère célibataire, citée par Aurélie Maurice :
« C’est une fois de plus les femmes qui culpabilisent. Des fois, on n’a pas le temps. Qu’on nous donne des solutions, des astuces. Mais on nous laisse comme ça, avec ce message. On a l’impression de ne pas faire le nécessaire pour nos enfants. »
Raconter
En attendant la publication du prochain PNNS (2017-2020), dont les repères intégreront davantage ces dimensions et seront plus facilement transposables dans les pratiques de consommation des personnes en situation de précarité, plusieurs initiatives menées dans des collectivités de Seine-Saint-Denis ou dans le nord de Paris permettent déjà d’obtenir localement des résultats.
Dans les hôtels sociaux, les résident(e)s disposent au mieux d’un micro-onde. Leur dire de manger équilibrer ne suffit donc pas. C’est dans ce but que la Ville de Paris a produit le guide Cuisiner malin – Livre de recettes faciles et pas chères, pour toutes et tous. Les recettes, qui ne nécessitent ni plaque de cuisson ni four, ont été élaborées par une diététicienne à partir du contenu-type de colis distribués en banques alimentaires. Et si les doses de sucres et de graisses ont été étudiées, la notion de plaisir n’a pas été oubliée : au détour des pages, on aperçoit un hamburger ou encore un gâteau au chocolat. Largement illustré, le livret est distribué lors d’ateliers cuisine, au cours desquels les participants se rendent compte qu’ils peuvent obtenir des résultats similaires avec un micro-onde qu’avec un four. En leur montrant qu’ils sauront faire, on leur redonne confiance en eux et en leur capacité de changer leurs habitudes. Reste à convaincre les publics concernés de venir aux ateliers, ce qui demande aux missions locales de créer au préalable un climat de confiance avec eux.
La maison de santé de Saint-Denis a réussi, en deux ans, à augmenter de 32% la pratique sportive des habitants du quartier Floréal-Saussaie-Courtille, au nord de la ville. Pour son directeur, Paul Daval :
« Ce résultat ne peut s’obtenir qu’en agissant simultanément sur trois axes indissociables : le développement de l’offre, la communication et l’aménagement du territoire ».
— Paul Daval
Avant, les activités proposées visaient surtout les jeunes : sports de combats, athlétisme, etc. L’offre a été complétée, de manière à pouvoir aussi séduire les femmes et les personnes âgées. Pour encourager l’assiduité, l’inscription n’est volontairement pas gratuite, mais les tarifs ont été fixés à une somme symbolique. Et les plages horaires ont été élargies, les parents au foyer n’étant disponibles que sur le temps scolaire de leurs enfants tandis que les plus anciens craignent de sortir le soir. Certaines activités sont proposées dans des lieux non « sportifs » (maison de quartier, maisons de retraite, parcs, etc.) pour ne pas intimider ceux qui n’ont pas l’habitude. Autant d’actions indispensables, sur lesquelles il est également important de communiquer pour les faire connaître. C’est pourquoi une permanence dédiée a été créée à la maison de quartier, ainsi qu’une page Facebook et divers événements festifs autour du sport. En parallèle, la maison de santé a aussi travaillé avec les élu(e)s et les habitant(e)s pour élargir certains trottoirs qui n’incitaient pas, jusqu’ici, à se déplacer à pied ; et aussi pour créer des pistes cyclables et aménager un parcours sportif. Six machines de musculation ont été installées face à la maison de quartier, dans un endroit ouvert, visible et rassurant. Surtout, le gymnase a été ouvert sur le territoire, il ne s’agit plus d’un îlot fermé, dont l’accès était tourné vers l’extérieur de la ville.
Les médecins incitent parfois leurs patient(e)s atteints de pathologies chroniques à faire du sport. Mais beaucoup, notamment parmi les personnes en situation de précarité, n’en ont jamais pratiqué. Elles ne savent pas où trouver une activité physique adaptée à leur inexpérience, à leur maladie ou à leur porte-monnaie. Et, le plus souvent, ces personnes baissent les bras. Pour le Dr. Salima Deramchi, coordinatrice du programme Paris Santé Nutrition, de la mairie de Paris :
« Dire à ces personnes de bouger ne suffit pas. Il faut les accompagner, être à leur écoute et à leur disposition pour les aider à trouver un atelier qui leur convient et les rassurer. Cela nécessite de leur accorder du temps. Mais, une fois qu’ils sont en confiance et qu’ils ont passé le pas de la première séance, ils accrochent et deviennent assidus. »
— Dr. Salima Deramchi, coordinatrice du programme Paris Santé Nutrition, de la mairie de Paris
Un partenariat a été mis en place avec les hôpitaux et les réseaux de santé pluridisciplinaires parisiens, de manière à ce que les médecins puissent adresser leurs patients aux missions locales du programme. Celles-ci les aident alors à trouver un créneau qui s’accorde à leur emploi du temps, parmi la vingtaine d’activités physiques adaptées (APA) créées spécialement pour eux. Les éducateurs encadrant ces ateliers ont été formés à la fois aux pathologies chroniques et aux publics précaires. Ils ont donc conscience que l’objectif n’est pas tant la performance que le bien-être et l’inclusion sociale des participants, et qu’il serait, par exemple, contreproductif de renvoyer d’un cours une personne en situation de précarité parce qu’elle n’a pas de jogging ou de basket.